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Toute l'actualité de Marie-Reine Hassen

Marie-Reine Hassen, économiste, CEO CFII, ancien ministre en Centrafrique.

Rappel 2013:Centrafrique: Un pays au bord de l'abîme. Africa Confidential

Publié le 28 Février 2017 par Marie-Reine Hassen

N° 681
Lundi 16 décembre 2013

AFRICA CONFIDENTIAL
Edition française Page 4

Centrafrique :
Un pays au bord de l'abîme

Les troupes françaises et régionales tentent d'éviter l'aggravation de la violence. Mais aucune force politique ne semble en mesure de sortir le pays de la crise.

Avant même la visite du président François Hollande à Bangui, le 11 décembre, il était clair que les divisions ethniques et reli- gieuses qui ont provoqué la majeure partie des violences mettront longtemps à s'apaiser. Après les affrontements du 5 décembre qui ont fait environ 500 morts, à Bangui, les 1 600 soldats français de l'opération Sangaris se sont déployés sur le terrain, pour épauler la Mission de consolidation de la paix en République centra- fricaine (Micopax). Les tensions entre chrétiens et musulmans - attisées par la Séléka et ses alliés islamistes dont d'anciens com- battants du Soudan et des partisans du président déchu François Bozizé – restent très élevées.

Sur le plan idéologique, la Séléka n'a guère de cohérence, mais les islamistes ont l'intention d'y mettre bon ordre, grâce à leurs combattants au Darfour et ailleurs. Les troupes françaises recherchent deux commandants liés à Boko Haram au Nigeria.

L'armée françaisem qprès l'adoption par le Conseil de sécurité de la résolution 2127 autorisant son intervention le 5 décembre, avait prévu d'engager les opérations le 8 décembre. Mais la détério- ration rapide de la sécurité à Bangui le 5 décembre a conduit Paris à lancer l'opération trois heures après l'adoption de la résolution et à faire passer le contingent français de 1 200 à 1 600 hommes. La Micopax sera rebaptisée Mission internationale de soutien à la Centrafrique (Misca) le 19 décembre. La moitié des troupes françaises sont venues par la route du Cameroun, jusqu'aux villes de Bouar et Bossangoa où les combats ont été violents. Les autres ont rejoint Bangui.

La milice Anti-Balaka ("anti-machette"), est un groupe de jeunes chrétiens assez peu organisé, mis sur pied pour contrer la Séléka, la milice qui a porté le président Michel Djotodia au pouvoir en mars. Les Anti-Balaka avaient infiltré Bangui le 4 décembre, en venant du sud depuis Damara avec l'intention de frapper très vite des cibles musulmanes. Ils espéraient que lorsqu'ils arriveraient dans la capitale, les troupes françaises les soutiendraient. Ils ont été rejoints par d'anciens soldats des Forces armées centrafricaines et par certains éléments envoyés du Congo-Kinshasa par Bozizé. Bozizé avait réussi à faire passer des armes à ses partisans dans sa région natale à Bangui, selon nos informations. C'est ce qui explique la présence des quelques mitrailleuses lourdes et lance roquettes déployés contre la Séléka.

Les hommes de Bozizé ont fait cause commune avec les Anti- Balaka, nombreux mais faiblement armés. Lorsque les membres de la Séléka à Bangui ont découvert les Anti-Balaka, le 5 décembre, ils ont engagé le combat. Les Anti-Balaka ont été terrassés en quelques heures. Certains partisans de la Séléka ont alors fouillé tout le sec- teur maison après maison, dans les zones où les combats avaient été les plus rudes, pour tuer tous les chrétiens. Les forces françaises ont fait leur apparition peu après, et ont détruit un véhicule. La Séléka a été contrainte de regagner son camp.

Les patrouilles des soldats français et de la Mission de conso- lidation de la paix ont mis fin aux échanges de tirs, mais une fois que les véhicules français ont eu quitté le secteur, de petits groupes d'Anti-Balaka se sont aussitôt reformés et ont repris leurs actions meurtrières armés de couteaux, d'arcs et de flèches.

Ramener le calme dans les rues sera sans doute très difficile. Pour les Casques bleus, l'un des problèmes clés est celui du com- portement du contingent tchadien au sein de la Micopax/Misca. Certains Tchadiens, selon des sources proches de l'armée française, ont fourni un toit et des uniformes aux combattants de la Séléka qui ont assassiné des civils chrétiens. Cela risque d'amener les chrétiens à assimiler la Micopax et le Tchad à l'ennemi. Les troupes françaises n'ont reçu aucune consigne sur la façon de gérer ce type de pratiques.

L'implication de Bozizé constitue un signal adressé par le pré- sident camerounais Paul Biya. A l'issue des marchandages pour le commandement de la Misca, c'est le général Jean-Marie Michel Mokoko (Congo-Brazzaville) qui a y été placé à sa tête le mois dernier, avec comme numéro deux le général Martin Tumenta Chomu (Cameroun). Cette décision résulte d'un compromis entre les partenaires de la Misca, la Communauté économique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC) et l'Union africaine (UA) : une force de l'UA conduite par des généraux de la région de la CEEAC.

Tous les chefs d'Etat voisins savent que Bozizé ne peut rien faire, dans le pays qu'il dirigeait autrefois, sans la bienveillance du président du pays qui l'accueille en exil. En autorisant Bozizé à jouer un rôle en Centrafrique, Biya témoigne de son irritation concernant la façon dont les chefs d'Etat de la région gèrent le conflit – Denis Sassou-Nguesso (Congo-Brazzaville) et Idriss Déby Itno (Tchad).

Massacres

Les exactions commises par les soldats de la Séléka ont rapi- dement pris un caractère sectaire. La plupart sont musulmans, alors que la majorité des villageois auxquels ils se sont attaqués sont chrétiens. Après la création spontanée de l'Anti-Balaka, la distinction entre soldats de la Séléka et musulmans installés de longue date, s'est atténuée. Les Anti-Bakala ont pris pour cible tous les musulmans. Et quand les troupes de la Séléka ont répliqué, elles n'ont fait aucune distinction entre les chrétiens locaux et les Anti-Balaka. Les troupes françaises et africaines constituent le seul rempart aux massacres. Les politiciens au sein du gouvernement intérimaire se montrent incapables de proposer des solutions ou d'appeler à l'unité. L'initiative revient par conséquent à l'ONU et aux gouvernements africains.

La résolution 2127 est un compromis. La France souhaitait un réexamen au bout de six mois, avec la possibilité de placer la mission sous la bannière de l'ONU. L'UA et les Etats-Unis s'y sont opposés. Financer une opération de l'UA d'une telle ampleur (elle engagerait 6 000 hommes) est à ce stade très peu probable. La France envisage déjà de maintenir ses troupes en Centrafrique durant au moins un an. Certains pensent qu'elles devront rester au moins jusqu'aux élections, prévues au plus tôt dans 14 mois.

Le président français François Hollande a déjà fait valoir ses objections à ce que Djotodia reste au pouvoir. Ce dernier, ainsi que les autres leaders intérimaires, ont promis de se retirer s'ils ne remportaient pas le scrutin. Pour tenter de regagner une crédibilité, le gouvernement pourrait être remanié. Avec tout ce qui a suivi le renversement du pouvoir en place, les ex-forces de Djotodia au sein de la Séléka lui ont elles aussi tourné le dos et pourraient chercher à se venger.

Les opérations humanitaires devraient prendre de l'ampleur. Cela pourrait aider les forces de maintien de la paix à élargir leur rayon d'action, mais les pénuries alimentaires ne semblent pas être extrêmes. Les experts estiment qu'injecter du cash dans l'économie, par exemple pour payer les salaires des fonctionnaires, pourrait être plus efficace.